Le homard est une diva. Il vous reçoit en peignoir blanc dans sa suite d’un grand hôtel, ses cinq paires de pattes négligemment croisées, les yeux mi-clos, l’air las : « alors comme ça, vous envisagez d’écrire un article sur moi ? Et bien il faudra commencer par éviter d’écrire les sottises que je lis à chaque fois : elle me font rougir de colère ! » Le homard est susceptible. S’il est une chose qu’il déteste plus encore que le fait d’être appelé par son nom scientifique (il trouve « homarus gammarus » inconvenant), c’est qu’on le confonde avec son cousin d’Amérique (« et pourquoi pas avec la langouste » grince-t- il, dédaigneux).
Quant à ceux qui confondent son abdomen avec une queue, ou qui ne savent pas reconnaître la queue plus large des femelles par rapport à celle du mâle, ceux-là sont juste bons à « bouffer des crevettes »… Le homard est fier. S’il consent à être pêché, c’est seulement par un professionnel aguerri. D’ailleurs, le caseyeur tenace qui passe ses journées à le traquer le sait bien : s’il ne veut pas rentrer bredouille, il doit viser juste. Si le casier tombe à plus d’un mètre de lui, le homard ne bougera pas de son trou. Il snobera ostensiblement l’appât qu’on lui propose. Après tout, il n’a pas consacré tant d’effort pendant l’hiver à enfler ses deux énormes pinces, l’une pour broyer furieusement, l’autre pour couper délicatement, pour que celles-ci lui servent à se déplacer. Le homard a ses petites manies : une fois le printemps arrivé, il daigne enfin sortir de sa tanière pour se promener aux alentours et tremper nonchalamment le bout de la patte dans l’eau comme une célébrité se promenant au bord de la piscine. C’est en ce moment qu’il faut l’acheter, car il est relativement bon marché. Car une fois l’été arrivé, il figurera en bonne place (et à prix élevé) sur les cartes des bons restaurants. Tout en haut de l’affiche.