Quand le monde va trop vite, quand les plateformes numériques ubérisent l’économie et créent de la précarité et quand l’industrialisation de l’alimentation nous fait passer de la viande de cheval pour du bœuf, on se prend parfois à avoir envie de mener la vie d’un agneau de pré-salé.
Songez plutôt : élevés depuis plus de mille ans aux abords du Mont Saint-Michel mais aussi dans la baie de Somme, dans cet espace où la terre et la mer se rencontrent et où la végétation est lavée tantôt par les embruns, tantôt par la pluie, ces paisibles broutards accompagnent leurs mères sur des pâturages iodés une fois passée la trêve hivernale, c’est-à-dire du 1er décembre au 15 mars environ. Au long de leur parcours dans les herbus, ces agneaux dégustent des plantes halophiles aux noms plus poétiques les uns que les autres : pucinellie maritime, spartine et obiome des ports. Nullement découragés par le climat parfois furieux de ces abords maritimes, les bêtes vivent en symbiose avec la nature qui donne à leur chair cette couleur si particulière et ce goût si fin qui enchante les gastronomes les plus avertis. Ah parce qu’au fait, au bout de quelques mois, ces agneaux de pré salé sont abattus froidement. Schlak ! Finalement, il n’est pas si mal que ça le monde numérique.