Qui aurait cru qu’une innocente préparation à base de farine, de beurre et de lait – également appelée panade – aurait pu déclencher de si ardentes polémiques, mettant aux prises des camps irréconciliables et jetant l’un contre l’autre d’anciens meilleurs amis dont les facéties déclenchaient naguère l’hilarité de la France entière ? C’est pourtant le cas de la quenelle, ce plat typiquement lyonnais qui s’apparente aux knepfle alsaciens et aux knödels autrichiens et qui existait dès l’Antiquité puisqu’ Apicius en faisait l’éloge au 1er siècle.…
A l’origine, c’est un maître pâtissier, Charles Morateur, qui a l’idée dans les années 1830 d’incorporer la chair des brochets, surabondants dans la Saône et les étang de la Dombes, dans de la pâte à choux. Soutenu par Brillat-Savarin, la recette remporte un franc succès et les Lyonnais se précipitent chaque dimanche chez leur pâtissier une casserole à la main pour la remplir de quenelles. Mais au début du 20ème siècle, un fils de charcutier, Joseph Moyne, reprend la recette pour l’alléger tout en lui donnant la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Dans la foulée, les charcutiers reprennent le commerce de la quenelle aux pâtissiers qui se fâchent terriblement. Depuis, c’est la guerre entre pâtissiers et charcutiers lyonnais, en particulier entre les descendants des Moyne et ceux des Morateur, qui sont à couteaux tirés (ce qui est toujours inquiétant dans ce genre de profession). Et là pour le coup, c’est nous, pauvres consommateurs spectateurs de ce terrible conflit gastronomique, qui sommes dans la panade.